"De Wever et Magnette sont tous les deux dans la même position: sous pression ! "
Le chroniqueur politique Rik Van Cauwelaert ne mâche pas ses mots au sujet du président du PS. "Il n'est pas sûr de lui et n'est pas conscient de ce qu'il se passe dans son parti."
- Publié le 04-04-2024 à 09h48
Ah la campagne et ses petites phrases assassines... Il ne se passe plus une semaine sans qu'un politique s'en prenne à un confrère. Chez DéFi, on s'entretue même entre collègues. Mais la dernière attaque frontale en date vient de Bart De Wever (N-VA) à l'égard de son potentiel futur partenaire de coalition, Paul Magnette (PS). “Il n’est pas apte à être Premier ministre", tance le président des nationalistes flamands, dans le magazine Humo. Il ajoute même: "On ne peut pas lui faire confiance." Ambiance... Mais ces piques du bourgmestre d'Anvers à l'égard de son homologue de Charleroi sont-elles réellement symptomatiques de la dégradation de la relation entre PS et N-VA ? Ou ne sont-elles qu'un écran de fumée avant la grande alliance entre les deux partis ? Dans le cadre de son rendez-vous "Regard de Flandre", La Libre a interrogé l'éditorialiste et chroniqueur politique, Rik Van Cauwelaert. Celui qui a longtemps dirigé le magazine "Knack" décortique les propos de Bart De Wever et analyse la stratégie du PS à l'approche du mégascrutin du 9 juin.
Bart De Wever a violemment taclé Paul Magnette, en le jugeant notamment "inapte à être Premier ministre". On a quand même l'impression qu'il met des bâtons dans les roues de la possible coalition qu'il souhaiterait former avec le PS en vue d'une réforme de l'Etat ?
Bart De Wever répète d'une manière différente ce qu'il a déjà dit sur le président socialiste. Pourtant il sait très bien que c'est sans doute avec Magnette qu'il va devoir discuter après le 9 juin. Mais le lendemain du scrutin, toutes ces déclarations seront oubliées. Les choses sérieuses commenceront. Mais la façon dont De Wever laisse entendre qu'il discutera avec Magnette semble un peu énerver les autres partis. Et, en particulier, le MR. La semaine dernière, Georges-Louis Bouchez a clairement fait comprendre que lui aussi voulait discuter de certaines choses avec la N-VA, comme la réforme fiscale. Les Engagés, comme le CD&V, ne seraient également pas opposés à négocier avec les nationalistes flamands. Ils sont tous un peu étonnés de ce théâtre que Bart De Wever répète à chaque fois à l'égard de Paul Magnette. Sachant bien que le président socialiste est un peu immobilisé par la présence du PTB...
Georges-Louis Bouchez ouvre la porte à Bart De Wever, mais le président de la N-VA a l'air plus frileux. Exclut-il une alliance avec les libéraux ?
Certains disent que la Suédoise va renaître. Mais il faudra voir les résultats. Parce que, si on regarde la chute de l'Open Vld dans les sondages et le CD&V qui approche les 13%, il n'est pas certain que l'on puisse remettre la Suédoise en scelle. Et il n'est vraiment pas sûr que le MR veuille monter à nouveau dans un gouvernement sans majorité francophone. Si les Engagés sont de la partie, cela pourrait changer la donne...
La relation entre la N-VA et le MR semble s'être dégradée ces dernières années ?
Oui ! Et on sait à cause de quoi... En 2019, tout le monde pensait que l'on se dirigeait vers une coalition entre le PS et la N-VA. Finalement, ça ne s'est pas fait parce que Georges-Louis Bouchez (MR) et Jean-Marc Nollet (Ecolo) ont court-circuité cette alliance en envoyant une lettre ouverte à Paul Magnette. Ils lui ont dit de ne pas compter sur eux du côté wallon et bruxellois si les socialistes montaient dans une coalition avec les nationalistes au Fédéral.
Et le président du PS a fait marche arrière, faisant une croix sur une alliance avec la N-VA...
Oui. On a pu voir que Paul Magnette n'avait pas osé prendre le risque d'aller à l'encontre du MR et d'Ecolo. Quoi qu'à l'intérieur de son propre parti, certains regrettent qu'il n'y ait pas eu de coalition avec la N-VA. Un socialiste m'a même dit que ça aurait eu de la gueule au moins avec les nationalistes flamands.
En Flandre, on a l'impression que Paul Magnette a un souci. Il n'est pas très sûr de lui-même, de ce qu'il veut et de ce qu'il se passe à l'intérieur de son parti. La situation dans la capitale l'illustre bien. Au sein du PS bruxellois, il y a différents clans et on compte plus de malheureux que d'heureux. On voit d'ailleurs dans les sondages que les socialistes sont tombés à la troisième place à Bruxelles. C'est du jamais-vu.
Paul Magnette n'est-il plus la bonne personne à la tête du PS ?
Je ne sais pas. On sent qu'il n'est pas en pleine confiance. Les socialistes prennent certaines décisions à Bruxelles, qu'ils ne prendraient jamais en Wallonie. Paul Magnette ne veut pas avancer dans le dossier du bien-être animal pour éviter de froisser l'une ou l'autre communauté. C'est quoi cette histoire ? Cela fait très mal aux socialistes qui prônent la laïcité.
Le PS a plus d'une fois été accusé de communautarisme à Bruxelles...
Tous les partis commencent un peu à jouer le jeu du communautarisme dans la capitale. Mais la façon de faire du PS est la plus étonnante.
Bart De Wever a estimé que Paul Magnette n'était pas digne de confiance, notamment en raison de son impulsivité et de la façon dont il se laisse bousculer par le PTB. Qu'en pensez-vous ?
Les socialistes ont été un peu traumatisés par ce qu'il s'est passé après le gouvernement Di Rupo. Cet exécutif avait adopté la fameuse limite de trois ans pour le revenu d'insertion pour les jeunes. La FGTB a appelé à ne pas voter pour les socialistes suite à cela et à soutenir le PTB. Le PS a perdu trois sièges dans le Hainaut dans la foulée. Ce n'est pas rien ! Surtout que dans le Hainaut, il y avait Magnette, Demotte et Di Rupo. Le président du PS n'a pas envie que cette histoire se répète. Ils ont déjà perdu des plumes et le leader socialiste ne veut pas être celui qui va faire disparaître son parti. Ce qui est arrivé au PS français, c'est le cauchemar de tous les socialistes belges.
De Wever critique Magnette mais il se laisse, lui, bousculer par le Vlaams Belang...
C'est sûr. De Wever et Magnette sont tous les deux dans la même position: l'un est sous pression de l'extrême gauche et l'autre de l'extrême droite. Mais le président de la N-VA fait encore de temps en temps une sortie contre le Vlaams Belang. On sent que c'est plus compliqué pour le président du PS. Il a traité les membres du PTB de couillons, mais d'un autre côté il adopte le programme de l'extrême gauche. Ça le rend peu crédible en Flandre. On l'écoute poliment, mais on n'en pense pas moins.
Le président des Engagés Maxime Prévot a rappelé à l'ordre une de ses têtes de liste, Elisabeth Degryse, qui n'avait pas écarté la possibilité de s'allier avec le PTB. N'est-ce pas surprenant de voir une telle différence de discours entre un président de parti et une tête de liste ?
Oui. Les partis francophones ne savent pas très bien comment ils doivent réagir concernant le PTB. Ils le voient différemment du Vlaams Belang. Pourtant l'extrême gauche n'est pas connue pour être de grands démocrates. Quand on voit leur sympathie pour la Chine et la Russie... Mais on sent que, du côté francophone, il y a une hésitation. Pourtant, je suis quasi sûr que le PTB ne montera jamais dans un gouvernement. Il va peut-être à nouveau participer à des majorités communales, mais jamais à un exécutif fédéral ou régional. Le PTB sait qu'il rassemble les voix des mécontents. Il représente la véritable opposition du côté francophone. Cela prend fin si l'extrême gauche monte dans un gouvernement. On l'a vu avec la Volksunie. Quand elle est arrivée au pouvoir, elle a commencé à perdre.
Est-ce dangereux de banaliser la montée au pouvoir du PTB ?
Oui, tout à fait. Il faudrait quand même être plus clair par rapport à certaines de leurs positions. Notamment concernant les conflits internationaux mais aussi leur vision sur la Chine. En plus, ce que propose le PTB économiquement et socialement place notre pays en dehors de l'Europe. Ils sont un peu comme les Insoumis en France, très anti-européens.
Pourtant, on voit des partis comme PS, Ecolo, Groen ou Vooruit reprendre à leur compte certaines idées du PTB, comme la taxe des millionnaires...
Oui, chez Vooruit il faut voir cela comme une volonté de montrer les muscles, mais rien de plus. La différence entre Vooruit et le PS est immense. Les deux partis se trouvent dans le même bâtiment mais ils se parlent peu. Du côté flamand, on s'inspire plutôt des sociaux-démocrates du Nord, plutôt que du PTB: on est assez dur vis-à-vis de la migration, ce qui n'est pas du tout le cas du PS.
De nouvelles tensions ont éclaté entre le PS, le MR et Ecolo sur le décret paysage. Ces trois partis ne sont-ils plus capables de gouverner ensemble ?
Je ne sais pas si une nouvelle alliance entre ces trois partis est possible. Tout va dépendre de ce qui va se passer au MR après les élections. Bouchez sait très bien que sa position est instable. Il ne faut pas grand-chose pour qu'il soit limogé. Certains ont déjà essayé de le débouter. Si les élections sont une réussite, il est clair qu'il sera difficile de le retirer de la présidence du parti. Mais si le résultat n'est pas à la hauteur, il pourrait occuper un autre poste. Devenir ministre, par exemple. Mais ça changerait la donne. Bouchez joue un rôle important dans ces tensions avec les autres partis. Du côté du PS et d'Ecolo, on espère qu'après les élections, il y aura quelqu'un d'autre aux commandes du MR.